Juridique

IA et propriété intellectuelle : délimitations des droits et de la possession

Un robot numérique qui brosse une toile, un chef-d’œuvre naissant en quelques secondes : qui appose sa signature sur le coin du tableau ? L’algorithme anonyme, le cerveau derrière le code, ou l’esprit humain qui a glissé une idée dans la machine ? La frontière, autrefois si nette, se dissout comme un reflet dans l’eau trouble.

Dans ce jeu de miroirs, artistes, inventeurs, entreprises et juristes se retrouvent à jongler avec des concepts de propriété qui semblent glisser entre les doigts. D’un côté, la promesse d’une créativité démultipliée ; de l’autre, la question obsédante de la paternité et des droits bouleverse l’ordre établi. L’enjeu s’est déplacé : la bataille ne se livre plus seulement sur le terrain des contrats, mais sur celui de la définition même de ce qu’est « créer ».

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Quand l’intelligence artificielle bouscule les frontières de la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle vacille sous le choc de l’intelligence artificielle. Les repères traditionnels du droit d’auteur se brouillent face à des œuvres surgies d’algorithmes, parfois sans la moindre trace de main humaine. Protéger les droits devient une épreuve : la loi, pensée à l’époque de la plume et du chevalet, peine à appréhender cette nouvelle donne.

Les tribunaux, surtout en Europe, avancent à tâtons. La Cour de justice de l’Union européenne, suivie par différentes cours d’appel nationales, multiplie les arrêts prudents : pas de statut d’auteur pour une IA, nécessité d’une intervention humaine réelle pour espérer une protection. La contrefaçon, autrefois aisément identifiable, devient un casse-tête dès lors que la frontière entre œuvre originale et production automatisée s’efface.

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Chaque nouveau cas ajoute une pierre à l’édifice de la complexité :

  • Des entreprises exploitent des bases de données colossales pour générer des éléments inédits, bien souvent sans auteur clairement défini.
  • Des artistes s’approprient l’algorithme pour pousser plus loin leur propriété littéraire et artistique, jusqu’à brouiller la limite entre acte de création et automatisation.

La protection des droits d’auteur et la lutte contre la contrefaçon réclament désormais une réinvention du droit, faute de quoi la notion même de droit de propriété intellectuelle risque de se vider de sa substance.

Qui possède quoi ? Les zones grises de la création et de l’exploitation des œuvres générées par l’IA

Dès que l’intelligence artificielle intervient dans la chaîne de valeur, la distinction entre créateur, utilisateur et détenteur des droits se fissure. Le code de la propriété intellectuelle français n’offre aucune solution limpide pour une œuvre produite sans intervention humaine significative. La loi, en principe, accorde le statut d’auteur à une personne physique. Pourtant, la réalité industrielle fait entrer en scène d’autres protagonistes : entreprises, développeurs, plateformes spécialisées dans les services de création assistée.

La possession et l’exploitation de ces œuvres s’installent alors dans des zones d’ombre. Plusieurs titres de propriété se disputent l’espace :

  • Les droits patrimoniaux peuvent être transférés, souvent par contrat, aux exploitants ; leur portée dépend toutefois du degré d’implication de l’humain dans la phase préparatoire.
  • Parfois, le secret des affaires s’applique, protégeant l’algorithme ou les données sources, mais sans garantir un contrôle réel sur l’œuvre aboutie.
  • Le code civil propose le droit commun de la possession, mais celui-ci s’avère vite dépassé face à la volatilité des objets numériques.

Les tribunaux, à Paris comme ailleurs, hésitent encore : le logiciel dispose d’un régime spécifique, mais l’œuvre tirée d’une IA échappe souvent à toute qualification précise. Faute d’arsenal juridique adapté, ce sont les contrats et règles internes d’entreprise qui font office de boussole.

intelligence artificielle

Vers de nouveaux équilibres juridiques : quelles pistes pour clarifier les droits et la possession ?

Le code de la propriété intellectuelle peine à suivre la cadence de l’innovation algorithmique. Les règles actuelles, héritées d’une histoire où la création était exclusivement humaine, laissent sans réponse la question de la titularité sur les œuvres issues d’une intelligence artificielle. Les tribunaux, de la capitale à la province, oscillent entre prudence et tentatives, sans aboutir à une position unifiée. L’absence de critères objectifs pour mesurer l’apport humain ne fait qu’alimenter le débat.

Des pistes s’esquissent néanmoins pour sortir de l’impasse :

  • Adapter les cadres existants : étendre le modèle des droits d’auteur au profit du commanditaire ou d’une personne morale, à la manière du « work for hire » anglo-saxon.
  • Imaginer une exception spécifique dans le code, taillée pour les œuvres issues d’une IA, en s’inspirant du brevet européen à effet unitaire ou du droit des dessins et modèles.
  • Privilégier la voie contractuelle : de Munich à Rome, les acteurs misent sur la liberté de négociation pour organiser la répartition des droits, à condition de respecter l’ordre public.

La Cour de cassation a ouvert la réflexion sans statuer : l’arrêt du 13 juillet 2022 (Cass. Civ. 1ère) rappelle que l’attribution des droits n’est jamais automatique lorsque la machine intervient. Plus audacieux, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu la nécessité de nouveaux critères pour qualifier l’œuvre. Il reste à voir si l’Europe, via la Cour de justice, saura imposer un socle commun, ou si chaque pays continuera à danser seul sur cette ligne de crête.

Dans ce paysage mouvant, la question n’est plus seulement de savoir qui tient le pinceau, mais jusqu’où la main humaine doit encore guider la création pour mériter la reconnaissance du droit. À l’heure où l’algorithme repousse les limites de l’imaginaire, les juristes, eux, devront réapprendre à dessiner des frontières.